Utopistes de demain,
Dont les voix ne nous sont pas encore parvenus,
Déposez sur nos épaules le crépuscule
D’une civilisation à son terme parvenue.
Déposez le manteau noir,
Le languissant chandail
Qui étouffera sous ses médailles
Le cliquetis absurde de nos gloires
Offrez-nous la nuit et ses conseils,
Offrez-nous le repos hagard,
L’obscurité de l’esprit pour que demain s’éveille
Ce soir nous sommes la lune ; ou est-ce trop tard ?
Utopistes de demain,
Rêvez en grand de nouveaux sortilèges
Et faites des merveilles de nos faiblesses effacées,
De nos abandonnés bourgeons.
Détrônez en songe l’attrait des vieux manèges
Qui depuis deux mille ans tournent, tournent, tournent en rond.
Laissez-nous à Morphée tant que nos neurones lubriques
Dans leur perpétuelle danse colorée
S’embrasent encore d’impatience voltaïque.
Mais, lorsque vous lirez chez quelques dormeurs,
Qu’ils soient écervelés, barbares ou poètes,
Les engrammes furtifs de nouvelles valeurs
Réveillez-les ! Ces rédempteurs, afin d’épouser leur silhouette.
Utopistes de demain,
Levez-vous alors avec eux pour crier en cœur :
« Notre avenir a peur !
Car ses hôtes avant même d’arriver
Se sont tant gorgées du vin épineux de la vitesse
Que prit dans leur ivresse,
Ils rateront la porte où s’arrêter.
Notre avenir a peur !
Mais nous sommes nés de vie et de tendresse,
Nous n’avons plus besoin de vous, modernes fonceurs.
Votre course précipitée cache une détresse,
Et nous sommes le galop immobile de la douceur. »